Que faire et comment… telle est la question. Shakespeare un jour m’a chuchoté que le monde entier est un théâtre alors j’ai dit : chiche ! J’ai lu quelque part que le théâtre c’est la poésie qui sort dans la rue : alors je suis sorti ! Plus tard j’ai appris que cette phase était de Lorca et j’en suis devenu dingue. Tout comme Brecht qui disait : un théâtre où on ne rit pas est un théâtre dont on doit en rire. Je me suis lancé dans l’aventure. À corps et coeur perdus. Comédien pour finir derrière la rampe je me répétais, comme Faust bien avant moi : qui peut penser une idée sotte ou sage que le monde avant lui n’ai déjà pensée ? J’étais rassuré. Je rêvais d’un théâtre simple et vrai, profond et clair. Les langues ont toujours du venin à répandre… Molière avait raison : c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. Je ne voulais pas tirer mon épingle du jeu, mais au contraire : me mettre dans le jeu ! Car on ne se bat pas dans l’espoir du succès, déclare Cyrano, non, non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile. Alors jouons ! Je me sentais prêt ! Saute et le filet apparaîtra me disait un professeur. Je saute. « Une pièce de théâtre doit être une sorte de personne : cela doit penser, cela doit agir, cela doit vivre ». Le grand Victor reste toujours de bon conseil. J’ai voulu m’implanter à Limoges parce que mon école y était et que c’est grâce à elle que j’ai appris le courage de choisir la vie, comme Norma dans la maison de poupée. Ibsen est comme Hugo, une montagne sur laquelle j’aime me reposer. Et puis j’aime beaucoup la région de Limoges. Il y a des villes charmantes avec de très beaux théâtres et une campagne magnifique avec de très belles salles des fêtes. Et des établissements scolaires pour y faire des ateliers et transmettre notre passion. Et des cafés où faire des lectures. Et beaucoup de rêveurs à rencontrer. La Nouvelle Aquitaine se crée et nos spectacles commencent à voyager. Oh oui cher Jean-Paul Sartre : la vie, c’est une panique dans un théâtre en feu. Le feu, il est dans les mots que nous déclamons et les limites des possibles que nous voulons repousser. Je veux d’un théâtre qui fait le pari des gens, qui peut être populaire sans y perdre en exigence. Une aventure territoriale, humaine, vitale, sans cesse au contact. Essayer toujours de faire comme Pessoa : donner à chaque sentiment une émotion et à chaque état d’âme… une âme ! Parler aux jeunes dans leurs bahuts. Parler aux sceptiques, leur rappeler : le monde entier est un théâtre ! Oui : parler aux amoureux des mots et à ceux qui voudront bien le devenir. Parler yeux dans les yeux, coeurs à coeurs, en proposant des sujets intéressants et paradoxaux. Et cela avec comédiens de talents qui portent la compagnie, qui l’élèvent, lui donnent sens, chair, réalité. En un mot faire du théâtre parce qu’on ne sait faire que cela et pour nous souvenir sans cesse, comme Tchekhov, que la haine n’est pas aussi sujette à l’oubli que l’amour. Le théâtre que nous rêvons est une parfaite réconciliation entre hier et demain : un temps présent qui n’attend rien d’autre que d’y rester.
Thomas Visonneau